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Poésie et chanson, les liaisons heureuses


 Ne pas oublier que le poème ne se concevait que chanté, avec ou sans accompagnement (…). Un poème dont on peut se passer n'est rien. Une chanson qui ne chavire pas non plus. Tout poème ainsi mis en chanson décuple le mystère des équations à plusieurs inconnues.» C'est ce que rappelle Sophie Nauleau dans la préface de son anthologie de poèmes mis en chansons. Depuis un demi-siècle, la chanson française est dominée par une double trinité. Du côté des vers: Baudelaire, Aragon et ­Prévert ; du côté de la voix : Léo ­Ferré, Jean Ferrat et Georges Brassens, rejoints par Yves ­Montand. Ils ont chanté Les Feuilles mortes, Il n'y a pas d'amour heureux, la Complainte de Robert le diable, Les Bijoux.

Grâce à eux, à jamais, on fredonnera: «Mais la vie sépare ceux qui s'aiment/tout doucement/sans faire de bruit/et la mer efface sur le sable/les pas des amants désunis» ou encore «Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard/Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson». Grâce à eux, l'on sait désormais que la Sidonie louée par Brigitte Bardot a plus d'un amant, en oubliant que le poème original est d'un certain Charles Cros, contemporain de Verlaine! Mélodisé, il a ainsi gagné sa postérité.

Depuis la fin du XIXe siècle, ­Baudelaire n'a jamais quitté l'affiche ni la scène. Un coffret de trois CD, fraîchement sorti, en témoigne (Universal). Aux classiques Debussy ou Fauré succèdent ­Montand, Ferré, Gainsbourg, ­Catherine Sauvage

Baudelaire toujours en haut de l'affiche

L'auteur des Fleurs du mal fascine toujours autant les compositeurs et les interprètes. Lavilliers , que l'on n'attendait pas dans ce registre, l'avait également chanté par le passé (Les Promesses d'un visage). Tout comme Jean-Louis Murat en 1996 (Réversibilité) sur l'album Dolorès. Double tribut à ses aînés, Murat avait, une dizaine d'années plus tard, complété et arrangé une douzaine de chansons inédites ébauchées ou esquissées par Léo Ferré («Charles et Léo»). Toujours en 2007, un certain Nadir Kouidri, alias Ridan, avait chansonné le célébrissime Heureux qui comme Ulysse de Du Bellay (déjà adapté par Brassens), sonnet que naguère les collégiens apprenaient par cœur. Le mariage des vers et des arpèges est parfait.

Passeur et défricheur, Murat avait exhumé un poète oublié du XVIIe siècle, Madame Deshoulières, à qui il a consacré un sublime album, en compagnie ­d'Isabelle Huppert. Depuis, ses sonnets ont été réédités. Début 2013, le groupe Les Têtes Raides a présenté dans Corps de mots une douzaine de poètes, dont certains ont rarement été adaptés: Artaud, SoupaultLautréamontDubillardDesnos… Et Apollinaire avec Le Pont Mirabeau, sans oublier Tsvetaeva. Le tout sublimé par l'accordéon, le violoncelle et les guitares. Pour son leader et chanteur, Christian Olivier, «En matière de poésie, la musique doit apporter un plus, ne pas l'écraser. Il faut absolument être vigilant, proche et fidèle à l'auteur. Voilà des années que je voulais rendre hommage à mes poètes de prédilection, ceux de mon Panthéon, moi qui ai découvert et aimé Baudelaire en même temps que The Clash… Il a fallu se battre pour les droits d'auteur, mais je tenais à faire partager cet amour à notre public, en démocratisant la poésie. J'avais composé une chanson sur un texte d'Henri Michaux, mais les ayants droit ont mis leur veto à sa diffusion.» Corps de mots vient d'être couronné par l'académie Charles-Cros. À quelques exceptions près, les poètes vivants restent peu connus des chanteurs d'aujourd'hui. On notera la collaboration de Valérie Rouzeau, lauréate du prix Apollinaire, avec Indochine, et celle de Zeno Bianu (un auteur Gallimard) avec le comédien Tcheky Karyo, lequel sort un second album cette semaine.

«Une poésie du réel»

Si l'exercice est périlleux, certains en assument brillamment le risque. On connaît l'antimoderne Philippe Muray pour ses essais sur Céline ou Rubens. Dans son cinquième CD (Sans moi), Bertrand Louis (né en 1968) a jeté son dévolu sur sa poésie. Il a tiré douze chansons du recueil Minimum respect (2003). C'est Michel Houellebecq, dont il avait mis en musique les alexandrins de Hypermarché Novembre, qui lui a fait découvrir Muray. «J'ai eu le coup de foudre pour cette poésie rimée, à la structure classique et solide. C'est une poésie du réel, du quotidien, avec des termes crus et des mots, disons antipoétiques, comme moral des ménages ou Insee. L'excès de lyrisme m'ennuie. C'est pourquoi je n'aime pas le Baudelaire de Ferré: trop emphatique, grandiloquent, ridicule, presque. Le Baudelaire qui me fascine est froid et électrique. Je songe sérieusement à l'adapter, prochainement.»


Thierry Clermont

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